Le fléau des algues :
Toute la Caraïbe souffre de grandes quantités d’algues : un fléau causé par l’activité humaine. Après des années de pelletage et de ratissage, le Mexique veut commencer à intercepter les sargasses en mer – et même à en tirer profit.

Photo Artur Widak/NurPhoto
De quoi s’agit-il ?
Le couple d’Allemands qui s’immortalise avec un selfie stick dans le ressac de la mer azur ?
L’un des mariachis qui s’enfoncent dans le sable poudreux avec leur tuba, leur accordéon et leur guitare pour jouer des chansons à la demande des touristes sur leur lit de plage ?
Ou peut-être l’un des pélicans qui se balancent tranquillement sur les vagues de la mer des Caraïbes après avoir déjoué un poisson ?
Non, l’odeur d’œuf pourri qui souffle parfois sur la plage de la station balnéaire mexicaine de Playa del Carmen semble provenir de la montagne d’algues marron foncé d’un mètre et demi de haut, située juste en bas de la route. Trois variétés de sargasse, comme le nom de l’espèce l’indique, sont un véritable fléau dans les Caraïbes. Les algues brunes se nourrissent, entre autres, de tous les engrais que l’homme émet en nombre croissant : ce n’est là qu’une des nombreuses menaces qui pèsent sur les océans et qu’un traité des Nations unies sur la « haute mer », conclu au début de ce mois, vise à contrer.
La peste des sargasses prouve que ce que l’homme fait sur terre a un effet sur les océans, et vice versa. Depuis plusieurs années, des quantités inhabituellement élevées d’algues marines s’échouent sur les plages d’une trentaine de pays des Caraïbes. Nulle part, cependant, les quantités d’algues ne sont aussi impressionnantes que le long de la Riviera Maya, nom international donné par le Mexique à cette partie de sa côte.
Et les dégâts ne sont pas seulement économiques. Les algues rejetées érodent le littoral à une vitesse fulgurante et affaiblissent la barrière de corail. La disparition de ces « amortisseurs » rend cette zone densément peuplée beaucoup plus vulnérable aux ouragans, dont la force augmente en raison du changement climatique.
Maux de tête dû au ratissage manuel des algues.
Pour l’instant, la mauvaise herbe gâche surtout les vacances. Elle entache les plages d’un blanc immaculé et, si elle n’est pas nettoyée après deux jours sur la terre ferme, elle commence à sentir terriblement mauvais. Sandra Díaz ne peut s’empêcher de rire lorsqu’on lui demande quelle est l’odeur des algues qu’elle ramasse à la pelle sur la plage huit heures par jour, six jours par semaine. « Ca sent comme des pets », répond la Mexicaine entre deux éclats de rire, alors qu’elle profite d’une courte pause à l’ombre avec ses collègues.
Elle a parfois mal à la tête à cause des longues heures de travail au soleil et de l’odeur d’œuf pourri (sulfure d’hydrogène, H2S) qui se dégage lors du ratissage. Mais, selon Mme Díaz, cela lui assure du travail. « Les sargasses ne cessent d’arriver », dit-elle. Même pendant la pandémie de corona, les plages devaient rester propres. « Quand beaucoup d’autres personnes ont perdu leur emploi, nous avons gardé le nôtre », ajoute un collègue.

Photo Artur Widak/NurPhoto
Nettoyer et éliminer les algues le plus rapidement possible reste l’approche la plus souvent adoptée par les autorités locales mexicaines et les entrepreneurs. Cependant, ils le font depuis 2018, année où des quantités vraiment importantes ont commencé à s’échouer sur le rivage. Peu à peu, on se rend compte que l’algue n’est pas un problème passager, les arrivages semblent au contraire s’intensifier. Une approche différente est donc envisagée : intercepter les algues avant qu’elles ne touchent terre.
Dans cette partie du Mexique, de nombreuses plages appartiennent à des stations touristiques, des clubs de plage et des hôtels de luxe. Ils les gardent propres en déployant des armées entières de balayeurs. Ils construisent également des barrières flottantes le long de leur côte, semblables aux boudins qui sont déployés après les marées noires.
Recolter en mer
Le complexe hôtelier Vidanta, qui comprend cinq hôtels de luxe, va encore plus loin. Depuis deux ans, il exploite un « sargaboat » qui recolte les algues à l’aide d’une sorte de chenille. Deux bateaux auxiliaires (NDT: Sargatrailer) font l’aller-retour pour ramener les algues à terre, explique Héctor López, responsable de l’environnement chez Vidanta, à la marina de Puerto Morelos, où le Sargaboat est amarré.
Cela permet au groupe hôtelier d’économiser de la main-d’œuvre, explique M. López sur le quai. Auparavant, il devait employer jusqu’à 120 personnes avec des brouettes, des râteaux et des pelles ; aujourd’hui, il n’y en a plus que 12. Les algues arrivent en quantité croissante et de plus en plus en dehors de la saison initiale (avril-octobre), explique le capitaine Iván Haas. « La mer est devenue loco », dit-il.
« La mer est devenue loco »
Iván Haas capitaine du Sargaboat
Vidanta utilise une partie des mauvaises herbes comme compost dans ses propres jardins, le reste est vendu à une entreprise qui le transforme en cuir artificiel et en émulsifiants pour le maquillage, entre autres. Dans le même temps, la « récolte » en mer reste nettement plus coûteuse que le nettoyage à terre. La chaîne hôtelière Mexicaine peut acheter les bateaux parce que ses clients paient des centaines d’euros par nuit. « Mais ce n’est certainement pas une option pour tout le monde », reconnaît le directeur López.
Erosion des Côtes
Selon Brigit van Tussenbroek, biologiste marine, il serait souhaitable d’intercepter les sargasses à plus grande échelle dès qu’elles sont en mer, et ce pour plusieurs raisons. La Néerlandaise étudie l’écosystème local de la côte mexicaine depuis plus de 30 ans. « En fait, j’ai toujours travaillé sur les herbes marines, mais elles sont en train de disparaître et c’est pourquoi j’ai commencé à étudier les sargasses », explique-t-elle dans sa salle d’étude à l’Institut d’étude de la mer et de limnologie de l’Université nationale libre du Mexique (UNAM) à Puerto Morelos.
Flottant dans les vagues et juste au large, les sargasses sont connues sous le nom de « marée brune ». Et c’est peut-être là qu’elle fait le plus de dégâts, selon Mme Van Tussenbroek : sous l’effet de la marée brune, la vie marine s’asphyxie et les zostères meurent, ce qui contribue à l’érosion de la côte. « À un moment donné, les bactéries sont si nombreuses près de la côte que tout l’oxygène disparaît de l’eau. Toutes les algues et les herbes, ainsi que les animaux qui ne sont pas partis à temps, meurent. Plus au large, les coraux des récifs souffrent des substances libérées dans l’eau par la sargasse en décomposition.
La côte souffre déjà de l’essor de l’industrie touristique. Les dunes ont dû céder la place aux hôtels. En outre, en éliminant les tonnes d’algues, on enlève aussi beaucoup de sable. Dans une station balnéaire très fréquentée comme Playa del Carmen, la plage s’est réduite à une bande étroite d’à peine un mètre à certains endroits. Les bars/restaurants de plage ont renforcé leurs terrasses avec des sacs de sable pour éviter que le mobilier ne soit emporté par le ressac.
Sur un panneau d’information installé par la municipalité sur la plage on peut lire : « Le réchauffement des eaux et l’augmentation de la pollution marine » comme causes possibles de la recrudescence des sargasses. B. Van Tussenbroek pointe principalement du doigt cette pollution : « La température de la mer des Caraïbes a toujours été optimale pour les sargasses. C’est surtout une réaction à ce que nous faisons au monde : nous rejetons plus de CO2, les courants changent, les vents changent et il y a plus de nutriments dans l’océan ».
« L’invasion des sargasse est surtout une réaction à ce que nous faisons au monde. »
Brigit van Tussenbroek, biologiste marin
L’homme élève de plus en plus de bétail et cultive de plus en plus de terres. Les engrais tels que l’azote, le phosphore et le potassium aboutissent ensuite dans les océans par l’intermédiaire de grands fleuves comme l’Amazone, l’Orénoque, le Mississippi et le Congo. Les sargasses, en revanche, sont habituées à survivre dans une zone très pauvre en nutriments : une zone de l’océan Atlantique subtropical, près de l’archipel des Bermudes. Régulièrement des brins d’algue se détachent et, une fois arrivés dans une zone riche en nutriments, ils s’en nourrissent rapidement – comme un chameau qui trouve un point d’eau dans le désert.
Avec l’augmentation des nutriments, cette croissance est désormais explosive. B. Van Tussenbroek précise : « Dans des conditions idéales, avec une bonne température et suffisamment de nutriments, les conditions sont parfaites et la biomasse peut doubler en cinq ou six jours. C’est vraiment incroyablement rapide. »
Depuis quelques temps, outre la mer des Sargasses originelle, une deuxième « mer » semble avoir émergé, entre la côte nord-est du Brésil et l’Afrique de l’Ouest. Il se pourrait même qu’il y en ait déjà une troisième, près du Panama et du Costa Rica. « Cela signifie que nous allons avoir des problèmes avec les sargasses tout au long de l’année », déclare-t-elle.
Pas encore de solution miracle
Les sargasses que le Mexique ramasse à la pelle sur ses plages ne sont pas souvent traitées correctement. Elles finissent dans des décharges clandestines dépourvues de géomembrane (une sorte de film), ce qui entraîne une fuite de nutriments et de métaux lourds tels que l’arsenic et le cadmium vers les eaux souterraines via le sol calcaire. L’absence de stations d’épurations fait que la plupart du temps les eaux usées sont rejetées directement en mer. Il y a donc un flux continu de nutriments qui alimente une nouvelle génération d’algues.
Pour briser ce cercle vicieux, des personnes s’efforcent de trouver des moyens de transformer la sargasse. Les idées de possibles applications commerciales ne manquent pas. Certains utilisent la sargasse pour produire du biogaz et de l’engrais. Mais aussi des cahiers d’écolier, des chaussures et des plastiques peuvent être produits à partir de la cellulose contenue dans les algues. Mais il n’existe pas de solution miracle.
Omar Vázquez gagne déjà de l’argent grâce à la sargasse. Ce Mexicain, qui est pépiniériste à Puerto Morelos, s’est impliqué dans le nettoyage de la plage locale, explique-t-il dans sa ferme située sur l’autoroute menant à la ville portuaire. Depuis plusieurs années, il fabrique des blocs de construction à partir de l’algue, appelés Sargablocks, qui consistent en un mélange de sargasses et d’adobe. Sur sa propriété se trouve la première maison témoin qu’il a construite avec ces algues, baptisée Casa Angelita en l’honneur de sa mère.
Mr Vázquez fournit aujourd’hui ses blocs à plusieurs compagnies, mais il sait qu’il ne va pas s’enrichir grâce à eux. Il a discuté avec plusieurs grandes entreprises. Celles-ci, dit Mr Vázquez, avaient parfois déjà des signes de dollars dans les yeux à l’idée de recycler les sargasses en blocs. « Mais ces entrepreneurs se heurtent à la réticence des autorités locales, qui craignent qu’une entreprise ne s’enrichisse grâce aux algues qu’elles ont fait nettoyer. Les choses ne fonctionnent pas ainsi au Mexique.
Marée brune, occasions en or
C’est aussi pour cette utilité que la capture en mer serait la solution, mais elle reste coûteuse, explique Denis Jimenez. Ce Français installé au Mexique depuis de nombreuses années est non seulement un navigateur, mais aussi un constructeur de bateaux qui a inventé le Sargaboat (NDT : et les Sargatrailer). L’idée lui est venue lorsqu’il a traversé de l’Atlantique en catamaran avec sa femme et qu’il a constaté les nuisances causées par les sargasses dans les Caraïbes. « On en souffre de partout » (NDT: dans les 30 pays impactées), explique le couple lors d’un petit-déjeuner à Cancún, la célèbre ville touristique.

Photo Merijn de Waal
Si la récolte en mer est si coûteuse, c’est en partie parce que la sargasse est composée à 90 % d’eau. Le ramassage d’algues humides est coûteux car une fois qu’elles ont séchées sur la terre ferme, il ne reste plus qu’un dixième de leur masse initiale. La société The Ocean Cleaner de Denis Jimenez, a réussi à vendre son invention au complexe hôtelier Vidanta, explique-t-il avec satisfaction.
En 2020, la biologiste Brigit van Tussenbroek a rédigé un guide avec des collègues des Caraïbes, qui répertorie toutes les utilisations commerciales existantes de la sargasse. Presque toutes sont encore en phase pilote ou expérimentale, la scientifique continue de penser que la collecte en mer est la meilleure option. Elle peut devenir rentable si on crée toute une chaîne d’utilisations pour les algues récoltées.
Bien qu’au Mexique, et dans le reste des Caraïbes, l’algue soit encore considérée comme un parasite gênant, la « marée brune » pourrait en fait offrir des « opportunités en or », a également conclu l’université de Wageningen dans une étude réalisée en 2021. Les sargasses absorbent beaucoup de CO2 et de nutriments pour ensuite les transformer en biomasse. « Il suffit de retirer cette biomasse de l’océan », explique Mme. Van Tussenbroek. « Ainsi tous ces nutriments ne retourneront pas dans la mer. Et nous devons faire quelque chose pour empêcher le CO2 de retourner dans l’air. »
Il est certain que si le Mexique, pays pétrolier, décidait de se joindre au commerce international des crédits carbone, ce serait « gagnant-gagnant », dit-elle. « Nous aiderions ainsi le climat tout en nettoyant les océans.
Notes complémentaires du traducteur :
– The Ocean Cleaner est une société Française
– Un ensemble « 1 Sargaboat+ 2 Sargatrailer » coute moins de 500 000 euros.
– Sa capacité de récolte journalière de sargasses est de 500 m3
– Cette solution est implantée à Vidanta depuis 2019
– A noter qu’à Vidanta, la solution est située dans une zone non protégée, exposée à une houle de 1,5 à 2m
Document original Néerlandais, traduit avec l’aide de Deepl.
Source : www.nrc.nl du 10/03/2023